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lundi 16 avril 2012

Rabâa Skik : Uni(e)s-vers-elles

« Corps en Révolution »

« A quoi servirait un regard s’il n’invitait à un autre regard ? » : ainsi l’Association Uni(e)s-vers-elles (Groupe d’études et d’actions féministes tunisiennes), fondée à Paris, ouvre-t-elle le préambule de l’exposition qu’elle est en train de monter sur « Voile, Dévoile –Corps en révolutions), pour l’année 2012.

La fortune du ventre : Douro (5 millimes !) - 2009
Au programme, un ensemble d’artistes, sexes et disciplines confondus. Haythem Zakaria, Rabâa Skik, Amel Bennys (plasticiens), Zied Hamrouni (musicien), Tahar Bekri, Mohamed Kacimi (écrivains), Hichem Driss (photographe) et un film témoin de Fatma Cherif. Ils sont tous Tunisiens, résidents fixes ou temporaires en France : générations de la révolution et en marge. D’autres nationalités solidaires y prendront part aussi.


Zoom sur Rabâa Skik : « traverser la révolution »
Pour une artiste peintre qui, Institut Supérieur des Beaux-Arts en phase quasi terminale, axe sa peinture sur le corps féminin depuis sa première exposition à Tunis en 2009, la révolution tunisienne ne faisait que répondre à ses interrogations bien légitimes.

Déjà, se trouve-t-elle confrontée à l’acquiescement comme à l’agressivité d’un public découvrant ses jeunes talents. Et encore, bénéficie-t-elle, de ce lieu protégé nommé galerie. Excepté par les critiques journalistiques et leurs lecteurs  qui peuvent en faire une cible facile.

Esquisse monotype pour « Voile, Dévoile » - 2012
Déjà, semble-t-elle anathème : dénonçant par son graphisme le sort féminin, lié au seul statut de mère-porteuse. Ventralement gonflés, matrices rebondies, les traits pourtant jeunes, les corps y sont prématurément flétris, comme terre devenue aride.

Les regards encore vifs de ses sujets, oscillent d’une toile à l’autre, entre un miroir qui renvoie l’image conforme attendue et l’expression de la tristesse à la dérobée. Ainsi s’opposent le cliché sociétal de l’œil complice - rangeant la femme dans son rôle d’objet qui se doit de plaire et de faire plaisir -, et ce vague à l’âme du regard perdu dans le lointain.

Scandale suprême, ses huiles et acryliques ne s’embarrassent pas de vêtements. Nus, ils sont traversés par la pesanteur de presqu’un millénaire de tabous figuratifs importés d’orient. Difformes, déformés par ce modelage des mentalités, ils s’apparentent à la tourbe ocre, épaisse et gluante, qui a assis sa médina natale dans sa fonction de ville sainte, Kairouan.

La création : un acte sacré ?
Qui accorderait à une jeune fille l’audace de transgresser, et de façon publique, la pudeur imposée par la morale coutumière, faute d’autre discours politique sous la dictature ? Dans le milieu des arts plastiques, les premières plasticiennes n’apparaissent que sous l’émulation de la politique culturelle de Bourguiba. C’est-à-dire plus de 50 ans, après le 1er Salon tunisien de 1894, puis la consécration du mouvement de l’Ecole de Tunis, exclusivement masculins.


Absentées mais exhibées par la scène politique
L’art fait-il partie du débat politique ? Grande question, que la Tunisie, affranchie de la dictature précédente, n’a pas eu le temps de débattre, tant la réponse s’est révélée abruptement aux premiers jours du printemps de la nation. Là, pas de voiles, pas de pudeur : les extrémistes rétrogrades ont tapé sur tout ce qui bougeait ou s’exposait artistiquement, êtres comme œuvres.

Quant aux femmes, si elles sont absentées des postes politiques par le gouvernement transitoire actuel, leur sexualité est exhibée au grand jour des marchandages parlementaires, comme viande à l’étal : réduites à un discours injonctif, concernant leur organe intime. Ce   phénomène est perçu comme une aberration, suite à 56 ans de Tunisie indépendante ! Enorme paradoxe où la femme, ridiculisée, fait les frais de la place publique. Régression culturelle, où les dirigeants actuels occultent le terme de « dignité », acquis par la révolution.

Une morale du sexe dans la tête
L’art aurait pour enjeu la création, ce rapport entre l’être et son œuvre, l’œuvre et son public virtuel. Acte de vie, il est source de communication. L’artiste s’y investit corporellement : dans sa façon d’appréhender, de conscientiser, de concevoir, de fabriquer, comme dans sa manière de vivre. Ainsi s’établit une forme de rituel dans le dialogue qu’il entretient avec l’œuvre. Et il n’est pas de tout repos.


Femme, « antidote miraculeux aux intégrismes »
La répression lancée par le gouvernement Ennadha, le 9 avril 2012 à Tunis, montre que les cibles sont d’abord féminines. L’association Uni(e)s-vers-elles notait déjà cette formule adéquate (hélas !) :« femmes, l’antidote miraculeux pour dissoudre les intégrismes ».

Les figurations de Rabâa Skik répondent à cette stigmatisation, exacerbée depuis octobre 2011. Les corps ne sont plus représentés que par les symboles réducteurs dont ils font l’objet : le voile, la béance* – à la fois défloration et viol des consciences -, mais aussi l’arme du sexe, la contrainte démesurée - ses interdits tentaculaires-.

Le poulpe tentaculaire (2012)
Le corps féminin, renforcé dans sa fonction d’objet par la perception commune, la plasticienne lui confère des allures plus rigides, plus hermétiques. Elle s’engage donc sur la voie de la sculpture, comme pour donner corps à cette prise de conscience.  Son approche sur toile, qu’elle maintient toujours, évolue vers davantage de combinaisons : alliant les techniques mixtes de l’huile et du crayon gras, aux collages et autres modes de tissage sur supports.

L’icône désincarnée
Au chaos ambiant du pays, la réplique de l’état d’émeute pour ses toiles. Les corps qui semblaient fusionner, s’engendrer les uns les autres, au début de sa jeune carrière, se parcellisent. Ils n’existent plus que sous la mascarade des apparences.

Morcelés, ils se prêtent à des pantomimes ou subissent la danse funèbre des espoirs déçus.  L’effet,  supposé libératoire, de la révolution, se solde par l’intrusion prégnante de la mort. Mais l’artiste n’en poursuit pas moins son implication professionnelle et continue-t-elle à se passionner pour le monde qui l’entoure et l’habite.

Baudruche intégriste au latex
En accord avec son vécu, Rabâa Skik, ne cède en rien à sa détermination.  Elle ne renonce pas à sonder les différents aspects d’une condition féminine qui la regarde de près. Ce n’est pas son image qu’elle projette. Mais, directement concernée par le sort de ses semblables, elle s’y identifie, s’en revêt et en subit les affres.


Un article de MonaK

* - Tout un jeu de connotations pour « niqab », pièce d’étoffe trouée et la défloration.

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